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L’art du conte philosophique dans Candide de Voltaire: le genre et les thèmes


Introduction
Voltaire est un des principaux pionniers du mouvement des Lumières, il dénoncera sans relâche et en utilisant différents genres, les injustices, les inégalités et l’intolérance. Il écrira des contes philosophiques, comme Candide et Micromégas, mais aussi des traités, des essais, des lettres ainsi que des articles de l’Encyclopédie. Mais l’histoire littéraire a consacré son Candide comme type parfait du conte philosophique, sinon comme chef-d’œuvre de notre écrivain. 


1. Ingrédients traditionnels de la phase initiale du conte

Voltaire recourt à la formule classique du conte: «Il y avait en Westphalie» pour entamer son récit. Il l’inscrit de cette façon dans un genre codé auquel il le rattache et à partir duquel le lecteur pourra mesurer l’écart. Il reprend également toutes les tendances langagières de celui-ci, à savoir l’hyperbolisation de la réalité. Il utilise des comparatifs et des superlatifs («les moeurs les plus douces», «l’esprit le plus simple», «un des plus puissants», «le plus beaux des châteaux», «la meilleurs des baronnes possibles»).

De même, le texte est saturé par une caractérisation positive des personnages, qui passe par la multiplication d’adjectifs mélioratifs («beau», «bon», «honnête», «douce», etc.)
On retrouve aussi le temps de la description du conte, l’imparfait, avec par exemple, «avait», «annonçait», «soupçonnaient». L’incipit est dominé par l’imparfait ce qui souligne sa vocation, car il s’agit de présenter la situation initiale et tous ses éléments avant d’évoquer l’élément perturbateur, qui amèneront l’utilisation du passé simple.


2. Eléments traditionnels du conte

Ensuite, si le lecteur retrouve d’emblée le langage du conte, il retrouve aussi tous ses éléments. En effet, les lieux sont dignes d’un conte de fée, le récit débute dans un pays peu connu, «la Westphalie», et surtout se déroule dans un «château», lieu représentatif du conte où l’on trouve, bien sûr, une «grande salle».
Non seulement les personnages font pratiquement tous partie de la noblesse, on trouve ainsi le «baron», la «baronne», le baronnet et la baronnette, mais de plus cette noblesse est mise en relief par le refus de la sœur du baron d’épouser un «bon et honnête gentilhomme du voisinage» car celui-ci «n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps». La noblesse est donc à la fois la caractéristique principale des personnages mais elle commande aussi leurs actions. La présence d’un précepteur (Panglos) va dans ce sens, en faisant partie des attributs inséparables de la noblesse.

De même, Voltaire choisit l’intemporalité propre à l‘univers du conte et l’absence de précision pour plus d’irréalité. L’univers qu’il construit est fermé sur lui-même, il permet de placer une philosophie au centre de ce microcosme et sa clôture même fait de cette philosophie la seule explication du monde connue, donc valable pour les habitants du château: «Il prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effets sans causes, et que dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beaux des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles».

On peut lire en filigrane dans cette description, une image du paradis qui sera confirmée par l’exclusion de Candide.

Toutefois, Voltaire s’écarte légèrement des normes génériques du conte, et ce pour des raisons idéologiques qui lui permettront de faire passer le message.


3. Un écart par rapport aux règles du genre et des thèmes combatifs

Le conte commence en général par le fameux incipit Il était une fois, situant ainsi les événements dans un cadre spatio-temporel irréel pour introduire des tonalités, fantastique, merveilleuse et extraordinaire. Mais Voltaire enfreint, dès le début cette règle en situant son récit dans un cadre spatiotemporel réaliste: la Westphalie en 1759. Il semble que l’auteur veut signaler par là que même si les événements seront fantaisistes, ils seront très attachés à la réalité de l’époque, c’est ce que exige la littérature de combat qu’exigeait le moment.
Candide est donc un conte philosophique qui se doit d’être un récit divertissant comprenant une moralité, un enseignement explicite ou non, c’est la phrase finale du texte: «il faut cultiver notre jardin». Ce conte représente l’esprit des Lumières et de ses grandes luttes, puisque Voltaire y dénonce en particulier la philosophie de Leibniz, mais également diverse aspects d’injustices comme les abus de l’Eglise (le chapitre 6 sur «l’autodafé»), du pouvoir (chapitre 3: «La guerre»), ainsi que l’esclavage (chapitre 19: “Le nègre de Surinam”). De plus, c’est une œuvre qui propose constamment un double niveau de lecture par le recours à l’ironie, une arme formelle dont Voltaire a souvent usé, et une des caractéristiques stylistiques du conte voltairien, sinon de la personnalité de Voltaire.


4. Une présentation de personnages de contes

En dernier lieu, les personnages sont assez peu décrits et se résument en général à une caractéristique principale, ce qui les rapproche des personnages de conte qui sont généralement réduits à des types et n’ont aucune ni un caractère nuancé ni un profil complexe.

C’est dans ce sens que Candide est présenté par une périphrase: «un jeune homme à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces». De plus, on note une complète coïncidence entre son apparence physique et son caractère moral: «Sa physionomie annonçait son âme». C’est là un des traits de l’influence de la philosophie matérialiste sur les penseurs des Lumières.

Le personnage du baron se réduit à son appartenance à la noblesse, qui est soulignée de manière insistante. Le baron est un personnage puissant et digne qui est définit comme «un des plus puissants seigneurs de Westphalie», qui jouit de la considération et de l’admiration de son entourage: «ils riaient quand il faisait des contes». Cette présentation ironique manifeste les positions politiques de Voltaire vis-à-vis de l’ordre établi, et de la classe sociale dominante.

Il en est de même pour la baronne, caractérisée elle aussi par sa dignité, ce que met en relief le lexique, «très grande considération», «honneurs», «dignité», «respectable». Mais tout se décrit toujours sous le signe de l’ironie.

Les enfants ne sont que de pâles copies de leurs parents: Cunégonde est réduite à son physique et à sa sensualité («haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante») annonçant par là l’objet de plaisir qu’elle deviendra à travers le conte; et le fils du baron est le double de son père («paraissait en tout digne de son père»). Quant à Pangloss, il n’est que ce qu’il enseigne et n’a pas d’autres caractéristiques physiques ou morales.


5. L’ironie comme trait stylistique du conte voltairien: la moquerie et la signification des noms de personnages

Si dans un premier temps, le lecteur semble plongé dans un univers qui lui rappelle celui des contes de fée, il se rend rapidement compte que la présence d’un certain nombre de tonalités moqueuses invite à une lecture ironique du texte et que derrière une façade sérieuse le monde du baron n’est pas ce qu’il semble. Cet incipit ironique déconstruit donc plus encore qu’il ne construit un univers merveilleux.
Ainsi, les noms propres peuvent être vus comme une annonce de l’ironie du texte, du fait qu’ils sont particulièrement signifiants. La dureté du nom du baron souligne ainsi sa cruauté puisqu’il va chasser Candide et le livrer à lui-même sans scrupules, la consonance allemande de «Thunder-ten-tronkh» se justifiant également par le fait que le conte se déroule en Westphalie. De même, le nom de «Candide» résume le personnage et l’enferme dans une naïveté qui confine à la bêtise.
Le choix des noms ne serait qu’une annonce de l’ironie que souligne les interventions directes du narrateur, lorsque, par exemple, dans la phrase «c’est, je crois, pour cette raison qu’on le nommait Candide», il feint le doute alors qu’il insiste sur sa simplicité et sa douceur. Les phénomènes de renchérissement et d’insistance vont dans ce sens et donnent à l’ironie un ton plus acide («sa grande salle même », «admirablement».)

Si par moment ce sont les interventions du narrateur qui mettent en valeur l’ironie, il arrive aussi que le choix de l’effacement de celui-ci soit également significatif, par exemple, le choix du discours direct pour la présentation de la philosophie de Pangloss est une façon pour le narrateur de ne pas reprendre à son compte les stupidités de Pangloss et de laisser le personnage montrer l’étendue de sa bêtise.
Enfin, l’ironie passe également par le point de vue de Candide, puisque la scène semble être vue par un regard qui se contente de constater et donner les faits à voir mais est incapable de les interpréter.
Les indices de l’ironie sont ensuite confortés par l’usage d’une série de justifications absurdes, qui au lieu de conforter la supériorité et la dignité du baron et de sa famille souligne l’absence de causes réelles qui doivent les justifier. Ainsi, lorsque la puissance du baron se mesure au fait que son château «avait une porte et des fenêtres», et que «sa grande salle même était ornée d’une tapisserie» ou que la baronne s’attire une grande considération du fait de ses «trois cent cinquante livres» de poids. Le seul mérite de la baronne serait donc son obésité, ce qui rend ironique l’insistance sur la dignité et l’omniprésence de son lexique.

De même, la justification du refus de la sœur du baron d’épouser «un bon et honnête gentilhomme du voisinage» pour une raison absurde et superficielle montre l’attachement de la famille du baron aux apparences «parce qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre avait été perdu par l’injure du temps», d’autant plus qu’il n’est pas impossible qu’il soit suffisamment noble, ce qui lui manque c’en est la preuve.

De plus, non seulement la justification de la noblesse ne tient qu’aux apparences mais celles-ci sont fausses et trompeuses, ce que l’on voit à travers les rapprochements de termes: «sa meute» n’est qu’en fait «les chiens de ses basses cours», ses «piqueurs» ne sont autres que ses «palefreniers» et son «grand aumônier», le «vicaire du village». Ces trois rapprochements soulignent la confusion entre la réalité et les apparences et le fait que le baron, en apparence un aristocrate fortuné n’est en fait qu’un petit noble de province.

Enfin, Pangloss, dont le nom signifie «tout langage» met en valeur la vacuité de son discours, ainsi que la dénonciation de sa philosophie de manière ironique.

Le choix de nommer «métaphycico-théologo-cosmolonigologie» sa «science» indique qu’elle n’est qu’un vaste fourre-tout qui s’appuie surtout sur la naïveté de son public: ce que met en relief le mot «nigaud» contenu dans son nom.

Conclusion
Candide reprend de nombreux éléments du conte traditionnel pour mieux les subvertir. En effet, si l’on trouve le langage du conte, avec ses formules, ses superlatifs et son vocabulaire mélioratif, les éléments tels qu’un contexte irréel et indéfini ou des personnages caricaturaux qui ne sont que des types, ce conte est surtout le lieu de la dénonciation des apparences trompeuses. La dénonciation se fait par le choix d’un ton ironique dont les noms, le point de vue et les interventions du narrateur sont autant d’indices, qu’amplifient les justifications absurdes de la dignité du baron et sa famille et celles qui doivent signifier la validité de la philosophie de Pangloss qui repose en réalité uniquement sur une apparence de raisonnement, vide de tout contenu et de tout…

 

Date de dernière mise à jour : 21/03/2020

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