Aux champs de Guy de Maupassant
Définition de la nouvelle : texte narratif court qui comprend un narrateur, une intrigue et des personnages et dans lequel le sens s’élabore par la chute et dont le lecteur est amené à une relecture
I- LA STRUCTURE NARRATIVE
Rappel du schéma narratif : situation initiale, élément perturbateur, péripéties, résolution des péripéties, retour à l’équilibre
Composition du récit :
a) La situation initiale (l.1 à 39)
b) Elément perturbateur : arrivée des d’Hubières (l.40 à 68)
c) La négociation (l.69 à 172)
d) Premier dénouement imparfait : la vie après le départ de Jean (l.173 à 205)
e) La scène finale (l. 206 à 273)
a) La situation initiale
Le narrateur utilise l’imparfait de l’indicatif pour la description et le récit des actions répétées : description de la vie de deux familles paysannes, les Tuvache et les Vallin.
Le narrateur est extérieur à l’histoire et ne dévoile pas les pensées des personnages : il s’agit donc d’une focalisation externe.
b) Arrivée des d’Hubières
Le narrateur utilise le passé simple pour marquer la rupture avec la situation initiale.
Précision du moment : « après-midi du mois d’août »
L’adverbe « brusquement » insiste sur la rupture avec la situation initiale.
Les pensées de M. d’Hubières sont précisées (l.46-48) donc le narrateur est omniscient mais l’omniscience est limitée car ces révélations n’ont pas de conséquences sur le suspense de la nouvelle.
c) La négociation
Le narrateur utilise de nouveau le passé simple pour raconter une scène singulière où le temps de l’action coïncide avec le temps de la narration : la scène est en temps réel grâce à l’insertion des dialogues.
Précision du moment : « matin »
Rupture avec l’habitude d’aller voir les enfants : elle, accompagnée de son mari, va voir les parents.
Les Tuvache refusent le marché proposé au nom de la morale. La négociation va réussir avec les Vallin car la situation du repas frugal est propice, M. d’Hubières est plus habile ( l.138 à 139) et le père Vallin va se révéler intéressé par l’argent (il fait monter les enchères).
La scène est décrite de l’extérieur : focalisation externe notamment grâce au modalisateur « peut-être » (l.71) qui permet de rester au seuil de l’omniscience.
Cette scène provoque l’indignation du lecteur qui prend parti pour la famille Tuvache et notamment pour la mère honnête et aimante mais au contraire contre la famille Vallin et surtout contre le père calculateur et cynique ainsi que contre la femme riche et capricieuse.
d) La vie après le départ de Jean
Reprise de l’imparfait pour raconter une vingtaine d’années en quelques lignes
Récit itératif : scène racontée une fois mais qui s’est produite de nombreuses fois toujours par la focalisation externe, la psychologie de Charlot n’est pas dévoilée.
L’harmonie initiale a cédé la place au déséquilibre, les deux familles sont désormais en rivalité. Le lecteur est conforté dans l’idée que la famille Tuvache s’est bien comportée : les voisins approuvent, Charlot éprouve de la fierté, il est le seul fils en vie pour aider ses parents…
e) La scène finale
La situation s’inverse totalement lors du retour de Jean devenu un « monsieur » : deux scènes consécutives apparaissent en opposition :
- Jean est devenu un notable et se montre reconnaissant envers ses parents et ses parents sont fiers de sa réussite.
- Charlot est jaloux de la réussite de Jean et reproche à ses parents de l’avoir gardé et abandonne ses parents en toute ingratitude.
La fin est inattendue car le narrateur ne dévoile pas les pensées intimes des personnages ce qui permet de garder le suspense. A aucun moment le narrateur ne dit que Charlot est jaloux, le lecteur le devine à travers le comportement final de Charlot qui traduit son amertume. Le narrateur se content de montrer, de raconter, de restituer les attitudes et les paroles des personnages.
Le lecteur passe donc de l’indignation au pessimisme puisque ce que tout le monde réprouve va devenir acceptable. La morale est mise à mal. Cette nouvelle laisse le lecteur sur une interrogation à laquelle il n’arrive pas à répondre.
La structure narrative correspond à la chronologie des évènements mais elle isole quelques scènes cruciales et résument de longues tranches de vie. La vitesse du récit ne coïncide donc pas toujours avec la vitesse de l’action : scènes brèves explicitées et tranches de vie résumées.
II- LE REGISTRE REALISTE
Maupassant donne le nom de « contes » à ses nouvelles et pourtant nous sommes loin du conte de fées. Dans un conte de fées, Charlot aurait dû être récompensé. Au contraire, Maupassant nous livre un anti-conte de fées : il nous montre la réalité quitte à la noircir.
a) L’ancrage dans le réel par la description
Deux familles de paysans qui ne se distinguent pas, sont décrites selon un parfait parallélisme mais sans étude de détails : pauvres (insistance sur les repas) avec de nombreux enfants (nombreux synonymes de l’enfant dans différents registres de langue).
M. et Mme Henri d’Hubières sont décrits en opposition : riches (vocabulaire symbolique : la voiture légère, les sous, les friandises) mais sans enfant.
Le cadre spatial et temporel est également réaliste : la campagne normande à la fin du XIXème siècle.
b) L’ancrage dans le réel par les dialogues
Les dialogues au style direct accentuent les différences de langage entre les familles paysannes et le couple de notables :
-le langage courant des d’Hubières
-le langage familier des paysans : le patois normand (« pour sûr », qué qu’t’en dis »), les fautes de grammaire (« que j’vous vendions », elle s’a conduite »), les élisions orales (« prend’e », « d’mande », « s’rait », « i »), les interjections et la prononciation (« mé », « éfants », « sieus »).
Conclusion : cette nouvelle de Maupassant s’inscrit dans le registre réaliste et sa singularité est la mise à mal de la morale qui passe par un pessimisme qui laisse le lecteur méditatif.